Le géant de la distribution Carrefour se retrouve au cœur d’une tempête judiciaire concernant ses pratiques dans le secteur du thon. Les ONG Bloom et Foodwatch ont récemment engagé des poursuites, accusant l’enseigne de manquements graves à ses obligations de vigilance. Cette affaire soulève des questions essentielles sur la responsabilité des grands distributeurs dans leurs chaînes d’approvisionnement.
Plainte déposée contre Carrefour: des accusations environnementales et sanitaires
Les organisations non gouvernementales Bloom et Foodwatch ont franchi un cap décisif en portant l’affaire devant le tribunal judiciaire de Paris. Après plusieurs tentatives infructueuses pour obtenir des réponses satisfaisantes de la part du distributeur, les ONG ont décidé d’emprunter la voie judiciaire pour faire entendre leurs revendications.
Au cœur des accusations figure l’utilisation controversée des dispositifs de concentration de poissons (DCP). Ces équipements, largement employés dans l’industrie thonière, sont pointés du doigt pour leur impact dévastateur sur les écosystèmes marins. Ils contribuent non seulement à la surpêche des populations de thons, mais entraînent également la capture accidentelle d’espèces non ciblées comme les tortues marines et les requins.
La dimension sanitaire n’est pas en reste dans ce dossier. Les ONG soulèvent la problématique des taux de mercure présents dans certaines conserves de thon commercialisées par Carrefour. Cette contamination représente un risque potentiel pour la santé des consommateurs, particulièrement pour les groupes vulnérables comme les femmes enceintes et les jeunes enfants.
La question des droits humains complète ce tableau préoccupant. Les conditions de travail à bord des navires thoniers sont régulièrement décriées par les organisations de défense des droits. L’absence de garanties solides concernant le respect des droits fondamentaux des travailleurs dans cette filière constitue un autre volet important des accusations portées contre le distributeur.
Le devoir de vigilance au centre du litige commercial
Cette action judiciaire s’appuie sur la loi française relative au devoir de vigilance, adoptée en 2017. Ce texte novateur impose aux grandes entreprises d’identifier et de prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement résultant de leurs activités, y compris celles de leurs filiales et sous-traitants.
Après des mises en demeure restées sans effets satisfaisants en novembre 2023 puis en avril 2024, les ONG ont constaté que Carrefour, comme d’autres grandes enseignes françaises, continuait de présenter des lacunes dans ses engagements. Selon elles, le distributeur utiliserait un langage délibérément vague et maintiendrait une opacité préjudiciable à toute évaluation objective de ses pratiques.
Face à ces accusations, la réaction de Carrefour ne s’est pas fait attendre. L’enseigne rejette catégoriquement les allégations formulées à son encontre, défendant la transparence de ses pratiques et l’accessibilité des informations relatives à sa filière thonière via son site internet. Le distributeur présente les demandes des ONG comme excessives, affirmant qu’elles équivaudraient à exiger l’arrêt total de la commercialisation du thon.
Vers une transformation des pratiques dans la grande distribution
Cette procédure judiciaire pourrait avoir des répercussions considérables sur l’ensemble du secteur de la distribution. En ciblant Carrefour, septième distributeur mondial, les ONG espèrent créer un effet d’entraînement qui contraindrait l’ensemble des acteurs à réviser leurs pratiques commerciales.
L’impact potentiel de cette affaire dépasse largement le cadre d’un simple différend entre un distributeur et des organisations environnementales. Elle pourrait marquer un tournant décisif dans la responsabilisation des entreprises concernant leurs chaînes d’approvisionnement internationales.
Les consommateurs, de plus en plus sensibles aux enjeux éthiques et environnementaux, suivront avec attention l’évolution de ce dossier. La filière thonière, déjà sous surveillance depuis plusieurs années pour ses pratiques controversées, pourrait connaître des transformations majeures sous la pression conjointe des actions judiciaires et de l’évolution des attentes sociétales.
La résolution de cette affaire pourrait établir un précédent juridique significatif concernant l’application concrète du devoir de vigilance dans le secteur de la distribution alimentaire. Elle rappelle que les engagements volontaires des entreprises ne suffisent plus et que des mécanismes contraignants deviennent nécessaires pour garantir des pratiques véritablement responsables.